J'ai repoussé autant que désiré mon retour à la capitale, au point que Thorn lui-même m'a verrouillé son esprit pour ne plus en entendre parler. D'ordinaire, je suis plutôt doué pour organiser mes pensées, et accessoirement, empêcher quiconque de s'y introduire sans que je ne le sache. Mais l'idée de rejoindre Ilirea me met les neurones à l'envers, j'en suis conscient. Heureusement, la présence de Loomar m'empêche d'y penser la plupart du temps. Parce que cette jeune femme a besoin de mon tutorat, le temps que Eragon ne la prenne en charge en tout cas. Et elle se montre assez curieuse pour me sortir de mes pensées que j'y plonge. Les Dragons, la Magie, l'ensemble de ce monde, et d'autres questions auxquelles je ne peux que lui promettre qu'elle aura les réponses en temps donné.

Thorn se montre d'une patience infinie avec Ivarnath, et si je savais qu'il avait ça en lui, c'est impressionnant de voir un Dragon aussi imposant que lui se comporter ainsi avec cet avorton encore capable de se percher sur la selle d'un cheval, pour peu que le cheval veuille d'un Dragon sur sa selle. D'après lui, la dragonne commence à s'exprimer par mots, et non plus seulement par images, mais entendre sa voix est un privilège qu'elle ne m'a pas encore accordé. Le temps viendra. Ou pas.

Les derniers kilomètres qui nous séparaient de la capitale, nous les avons parcourus à pied, laissant nos Dragons à l'écart, faisant confiance à Thorn pour qu'ils se dissimulent là où on ne les trouverait pas. Vu son gabarit, plus facile à dire qu'à faire, mais Yvar ne survivrait pas longtemps au manque d'oxygène dans les hauteurs du ciel suffisantes à dissimuler le rouge lustré de ses écailles. Unr journée nous aura été nécessaire pour faire le trajet, mais ça aura permis à la Dragonnière et sa Dragonne d'apprendre à user de leurs liens à distance.

Je préfère arriver en ville à la faveur de la nuit tombante, dissimulant mon visage sous le chapeau à larges bords qui ne me quitte plus depuis quelques temps. Plus discret qu'une sombre cape noire, parait il. Nous dirons que les gardes s'attendent moins à me voir vêtu de la sorte, surtout. Quand à Zar'roc, elle est restée accrochée à la selle de Thorn. Une épée de dragonnier à la lame rouge sang, c'est assez reconnaissable. Loomar et moi nous séparons à l'approche d'une taverne, près d'un coin de rue où je lui donne rendez-vous à mon retour. Si j'en reviens. Je dois dire ne pas être des plus optimistes sur la question, et si je sais que personne ne prendra le risque de me tuer, et ainsi tuer mon dragon et s'attirer les foudres de mon frère, je sais qu'il est fort probable que je finisse derrière les barreaux. Ma seule instruction sera donc la suivante. Si Thorn lui dit de partir sans se retourner, qu'elle le fasse.

L'avantage d'avoir grandi sous la coupe de Galbatorix est que je connais le palais royal comme ma poche, même si des améliorations y ont été apportées après la bataille qui y fit rage. Les passages secrets sont toujours en place, pour la plupart, aussi, je parviens sans difficulté à accéder à la salle du trône, au nez et à la barbe de la plupart des gardes, exception faite des magiciens du Du Vrangr Gata, bien entendu. Difficile d'échapper à leur attention quand on a la puissance qui est la mienne, mais il faut croire que ordre leur a été donné de me laisser passer.

Bref, discussion plus formelle que je l'aurai souhaité, sous la surveillance accrue des meilleurs magiciens du royaume ( excepté mon frère et moi), où je me contenterai de renouveler mon serment d'allégeance à sa majesté, avec le concours de Thorn, qui en fait autant par mon intermédiaire. La sortie se fait de façon plus officielle que l'entrée, même si je ne dégage en rien mon visage, glissant même le nez dans le foulard que je porte autour du cou à l'approche des gardes. Nasuada a tord sur un point. Tout le monde dans ce royaume n'est pas prêt pour notre retour, pas sans une preuve irréfutable de notre bonne foi.

Et quelques heures après avoir laissé Loomar, je reviens à notre point de rendez-vous, après avoir tourné plusieurs fois dans les rues de la ville pour être certain de ne pas être suivi. Quand on a passé sa vie à fuir, on en garde les habitudes. Adepte de l'efficacité, j'en profite pour faire mon rapport sur les lieux et tout ce que j'ai pu retenir à Thorn, même s'il a suivi la conversation à travers moi.

"Bon, on ne s'est pas perdus en chemin. Je suggère qu'on s'en aille avant que l'alerte soit donnée en revanche. Mon visage est trop connu dans cette ville."  

J'attrape son sac pour le poser sur mon épaule avant de lui tendre ma main libre pour l'entrainer à ma suite. L'option de la foule semble la meilleure, la voie la plus directe menant à la porte principale. Au culot, après tout.

"Si on nous demande, je me nomme Tornac, et j'ai accepté de te guider jusqu'à Furnost, au sud. C'est tout ce que tu sais de moi."

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L'idée pour passer inaperçu face à un garde, c'est de donner l'impression de ne rien avoir à se reprocher, et donc, être le plus naturel possible. Quelque chose que j'arrive assez facilement à faire, même si je ne parviens pas totalement à évacuer la tension dans mes épaules. Et peut-être que je ne refuse pas totalement l'idée de Thorn de débarquer pour "effrayer les petites-souris-affolées-sur-deux-jambes", je retiens tout de même les ardeurs de mon Dragon avec un sourire en coin. La dernière fois qu'il s'est montré en ces lieux, s'il était déjà plus grand que Saphira ne l'était à l'époque, il était un avorton à coté de ce qu'il est devenu aujourd'hui. Aucun doute qu'il saurait effectivement faire son effet. Mais je ne tiens pas, dans le même temps, à ce qu'il serve de cible aux fourches et aux lances.

Devant la panique évidente de Loomar, je me permet de lui transmettre une légère vague d'apaisement, en restant cependant assez éloigné de son esprit pour qu'elle ne ressente pas mon approche comme une intrusion. Pour en avoir été la victime durant des années, s'il y a une arme dont je ne me servirai pas à moins d'y être forcé, c'est bien de l'arme de l'esprit. En même temps, ces années sous la coupe de Galbatorix m'ont rendu plus affuté et retors face à ce genre d'attaque. Sans prétention, celui qui saura percer mes défenses aura mérité de connaitre le fond de mes pensées. D'ailleurs, parlant de défenses, une fois certain que le garde qui nous observe le plus près n'a pas prévu de nous embêter outre mesure, je me permet de le saluer d'une main sur le rebord de mon chapeau avant de quitter la cité, glissant une main derrière les épaules de ma compagne de route pour la guider à l'écart du chemin sitôt que je considère avoir mis assez de distance entre la cité et nous pour être sûr de ne pas avoir été suivis.

"Tu peux recommencer à respirer, tu sais."

Je rassemble quelques branches et choisis un arbre contre lequel je m'installe à même le sol, appuyant mon dos contre son écorce avant de prononcer un mot, un seul, mais dont l'effet est immédiat. Brisingr. Assez pour allumer un feu correct malgré l'humidité du bois que j'ai utilisé. Assez peu pour que je ressente à peine que le sort a pu puiser dans mes réserves d'énergie.

"La magie vient du Dragon, qui la transmet à son Dragonnier. Mon frère te l'enseignera mieux que moi. Il a eu un bien meilleur précepteur en la matière. Ce qu'il te faut savoir, c'est qu'un sort mal utilisé, mal réfléchi, mal contenu, peut saper ton énergie au point de te tuer. Avec ce même mot, je peux aussi bien allumer un feu de camp que mettre le feu à l'entièreté de cette forêt. J'aurai besoin d'une sacrée bonne nuit de sommeil pour m'en remettre, le cas échéant. Toi, tu ne reverrais sans doute pas le jour se lever. "

Si je suis direct? Je préfère tout du moins la mettre en garde. J'utilise la magie dont j'ai besoin quand j'en ai besoin, et je ne tiens pas particulièrement à ce qu'elle teste de son coté un mot qu'elle m'aura entendu prononcer sans en comprendre les tenants et les aboutissants. Je compte ramener un Dragon et sa dragonnière à Eragon, pas deux corps sans vie.

"Je propose que nous nous installions ici quelques heures. On est assez proches de la route, sans être simples à repérer, à moins qu'ils n'utilisent des sorciers. Si ça venait à bouger, je préfère qu'on le sache avant de les mener droit aux Dragons."

Si je ne fais pas confiance à Nasuada nous concernant? Je ne fait pas confiance au zèle de ses gardes me concernant. On a beau être au pied du palais ou presque, Galbatorix lui-même n'avait pas les yeux partout à la fois. Sans cela, il ne serait pas passé à coté de certaines choses qui ont mené à sa perte, ma capacité à résister à son emprise en tête de liste.

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