Les écailles du dragon étaient d'un blanc immaculé, plus blanches encore que ne le furent celles du légendaire Umaroth, le dragon de Vrael, chef des Dragonniers de jadis. D'un blanc tel que les rayons du soleil les frappant rendaient difficile de le garder à vue. Un avantage que la créature utilisait depuis des années pour se défaire des ennemis qu'elle pouvait rencontrer sur sa route.
Son "ennemi" du jour était pourtant parvenu à l'atteindre, si on en jugeait par le contraste saisissant entre les écailles d'un blanc pur et le sang rouge, presque noir, qui s'échappait d'une profonde plaie sur son flanc, roulant le long de sa patte arrière jusqu'à s'écouler du bout de ses puissantes griffes. En vérité, le fier Dragon sauvage fuyait présentement, pourchassé par un Dragon mesurant le double de sa longueur.Un Dragon offrant le même spectacle que son congénère, les gouttes de sang pleuvant de ses griffes antérieures témoignant de la plaie béante qu'il porte au cou. Une plaie rendue plus discrète par la couleur écarlate de ses écailles.

Le plus jeune prend soudain un virage des plus serrés entre deux à-pics, plongeant vers la falaise avant de passer au travers d'une cascade, dans l'espoir d'échapper à son ainé, trop volumineux pour s'engager dans un tel endroit. L'autre effectue un premier survol de la montagne, puis un second, avant de trouver une plateforme où se poser sans risquer un éboulement. L'homme sur son dos descend de selle, faisant un tour rapide de sa monture pour soigner ses plaies les plus importantes, recomposant la chair arrachée par les dents fines de son adversaire, accélérant la repousse des écailles protectrices des zones blessées. Davantage pour un but esthétique que défensif, maintenant que le dragon blanc est acculé, mais il a appris à connaitre la fierté de son compagnon et sa capacité à faire des scènes pour une écaille déplacée.

Cela fait, il s'engage sur le chemin donnant accès à la cascade derrière laquelle la créature se dissimule, malgré le grondement de réprobation de son Dragon.
"Tu ne sais pas lui parler, c'est tout."
En vérité, il est moins assuré qu'il ne le laisse paraitre, et cela, Thorn en est totalement conscient. Après l'éclosion de suffisamment d’œufs de Dragons pour conforter la nouvelle caste des Dragonniers et pérenniser son existence pour les prochains siècles, Eragon eut l'idée de laisser aux Dragonnes le choix qu'elles avaient jadis. Confier leurs œufs aux Dragonniers ou les laisser éclore pour faire renaitre une lignée de Dragons qui ne risqueraient pas de disparaitre en même temps que leurs Dragonniers. Les décennies qui suivirent virent plusieurs de ces Dragonneaux naitre et prendre leur envol, ne s'éloignant jamais bien loin des à-pics qui les virent naitre, et respectant les quelques règles que leurs ainés leur inculquèrent.

Jusqu'à Velthurr. Le Dragon blanc avait perdu sa mère de bonne heure, la Dragonne ayant donné sa vie pour protéger sa couvée d'un éboulement, et depuis, échappait totalement au contrôle des Dragonniers, n'hésitant pas à traverser les étendues désertiques pour aller piller les troupeaux des fermiers de l'Alagaésia. Malgré son expérience avec les jeunes de la race, Murtagh devait s'avouer dépassé par celui-là, même s'il était hors de question pour lui de l'admettre devant son frère. Une situation qui commençait à faire rire jaune Thorn, par ailleurs. Le Dragon appréciait les courses poursuites, mais pas les crocs du "bébé-dragon-albinos-qui-mord-comme-un-serpent".

Alors qu'il franchit la cascade à son tour, un feulement d'avertissement lui parvient du fond de la grotte. Un feulement sans équivoque sur l'humeur massacrante du dragon qui s'y cache.
"Skulblaka Sven."
Y voir dans le noir ne fait pas encore partie de ses dons. Mais Thorn possède une vision nocturne exceptionnelle, que Murtagh se permet parfois de lui emprunter. Et de près, la plaie laissée par les crocs de Thorn dans le flanc de Velthurr est encore moins belle qu'elle ne le paraissait en vol, les traces de pattes ensanglantées au sol prouvant que la cicatrisation n'est pas prête de se faire.
"Laisse-moi t'aider."
Il tente comme à chaque fois de s'approcher de l'esprit du Dragon pour calmer ses peurs, mais ce dernier lui reste totalement impénétrable, aussi il se retire immédiatement, ne connaissant que trop bien la souffrance provoquée par l'esprit d'un Dragon pénétrant de force son propre esprit.
"Velthurr. Je peux te soigner. Laisse-moi approcher. Tu es chez toi ici. Thorn et moi n'avons plus de raison de te repousser plus en avant."
Pas à pas, avec une volonté qui ne s'acquiert qu'après des années à travailler avec les Dragons sauvages, il parvient à poser sa main sur le nez du reptile, l'examinant du regard avant d'approcher davantage. La blessure à sa queue guérirait vite, de même que cette griffe cassée à la patte arrière. Ne souhaitant pas abuser de sa chance, le Dragonnier fonde sa priorité sur la plaie la plus urgente à traiter. Parvenant à en approcher son autre main sans affoler davantage son patient.
"Waise Heill!"
S'il n'a techniquement besoin que de penser à la formule pour que le sort de soin ne s'active, il sait qu'un Dragon qui n'est pas lié par l'esprit avec lui a besoin d'entendre les mots. Une façon de calmer les moins confiants, qui s'imaginent facilement la traitrise des hommes. De même que pour Thorn, il pousse le sort jusqu'à lui rendre ses écailles, une façon pour lui d'espérer se faire bien voir du Dragon, même si cette dépense d'énergie supplémentaire le laisse plus usé qu'il ne l'aurait cru.

Plus usé et surtout, moins sur la défensive. S'il parvient à repousser la flamme qui s'abat sur lui d'une pensée, les crocs qui transpercent sa cuirasse, la tête du Dragon émergeant du flot de flammes à peine éteintes, le prennent par surprise. A son hurlement télépathique répond un rugissement féroce provenant de l'extérieur alors qu'il tombe au sol et qu'un éclair blanc passant devant lui est tout ce qu'il remarque du départ de son agresseur.
*Thorn!*
Sa priorité alors qu'il bascule doucement vers l'inconscience? Empêcher son Dragon de repartir à la chasse. Il ne s'est pas épuisé à soigner le jeune Dragon pour qu'il finisse de nouveau dans les crocs de son ainé. Ou que Thorn soit blessé de nouveau. Leur lien s'est tant forgé au fil des décennies que comme Murtagh ressent la moindre douleur de Thorn, il sait que ce dernier a ressenti la douleur en même temps que lui. On envoie pas un Dragon déconcentré au combat.

Déconnectant quelques peu, il en vient à se demander pourquoi il a accepté de se charger des Sauvages, avant qu'une petite voix ne vienne lui rappeler qu'il s'est spontanément proposé à l'époque, jugeant les Dragons plus simples de contact que les jeunes Dragonniers en apprentissage, des élèves qu'il a rapidement laissé à son frère. Si l'Alagaesia n'a jamais vraiment été prête à le voir revenir sur ses terres, contrairement à ce que la belle Nasuada lui répétait sans cesse au cours de ses visites, ses jeunes gens ne sont pas non plus préparés à recevoir l'instruction d'un ancien Parjure. Et puis, parler aux autres n'avait jamais été son truc, ça ne commencerait pas aujourd'hui.

La conscience lui revient alors qu'il entend Thorn l'appeler dans son esprit, ainsi que quelque chose de dur et chaud lui cogner la joue. Thorn devrait creuser la montagne pour y entrer, une pensée qui amuse une seconde le Dragon inquiet avant que son Dragonnier n'ouvre pleinement les yeux, se retrouvant face à un Dragon doré à peine assez gros pour supporter un Dragonnier.
*Il n'y a que ta fille pour répondre aussi vite à ton appel.*
*Elle est rapide, et impétueuse. Dépêche toi de grimper avant qu'elle ne change d'avis.*
S'accrochant aux épines dorsales de la créature, il parvient à se hisser sur son dos, avant qu'elle ne sorte de la grotte par le chemin le plus court, soit en traversant la cascade. De quoi finir de réveiller l'homme, lui tirant un nouveau gémissement d'inconfort. La Dragonne sauvage se contente de voleter jusqu'au Dragon rouge qui l'attend plus haut, laissant le Dragonnier blessé aux soins de son Dragon avant de repartir comme elle était venue. Un Dragonnier qui ne reste pas blessé longtemps, sa main appuyée sur les écailles de son Dragon lui prélevant juste assez d'énergie pour pouvoir refermer sa propre plaie et remonter en selle
*Rentrons. Velthurr ne devrait pas refaire parler de lui aujourd'hui.*
*Tu comptes en parler à Eragon?*
*Tu connais la réponse à cette question.*

Thorn prit son envol sans attendre que Murtagh lui en donne le commandement. Le Dragon évoluait bien plus souplement dans les airs que sa taille ne l'aurait laissé présager au premier abord, et il trouva rapidement les courants chauds qui lui permirent de s'élever au delà du sommet des montagnes de la région, loin d'atteindre la hauteur des Contreforts du Beor mais offrant tout de même un refuge acceptable à la vingtaine de Dragons sauvages qu'ils pouvaient observer en dessous d'eux.
Laissant son esprit flotter à proximité de celui de son Dragonnier, suivant ses pensées sans s'y immiscer, Thorn fut celui qui brisa le silence dans lequel Murtagh se complaisait depuis plusieurs minutes.
*Ce jeu ne m'amuse plus, petit homme. Si tu ne lui en parles pas, je m'en chargerai.*
*Et si j'avais voulu ton avis sur la question, je te l'aurai demandé.*
Plutôt que des mots, Thorn choisit de montrer son agacement à son Dragonnier en effectuant une vrille qui manqua le désarçonner, malgré les sangles qui le retiennent à sa selle.
*Et si tu souhaitais une bête de somme bien docile, tu aurais du te contenter d'un cheval*

Le Dragon, boudeur, ferma simplement son esprit à Murtagh, décidant de se laisser planer sur les courants d'air et offrir ses pensées au vent du nord. Une parenthèse qui dura jusqu'à ce qu'il trouve un courant descendant à suivre pour rejoindre leur destination finale, une cité bâtie dans la pierre, à la fois assez vaste pour pouvoir accueillir les Dragons qui y circulent et assez bien dissimulée pour qu'il faille en connaitre le chemin pour y pénétrer.
Alors qu'ils approchent de la cité, l'ombre écarlate du grand Dragon survolant bientôt la combe en apparence déserte, des dizaines d'esprits viennent à la rencontre des leurs, s'assurant de leur identité et de leurs intentions. Une habitude qui fait toujours autant grincer des dents le Dragonnier, qui considère inutiles tous les efforts faits dans la quasi invisibilité de la cité si tout le monde se trahit de la sorte au moindre survol.
Bientôt les ailes de Thorn frôlent le toit des bâtiments les plus élevés de la ville, avant qu'il n'atterrisse avec fracas au sommet de la plus haute tour, appelée le "Nid du Dragon" en raison de sa forme si particulière, et de l'habitude prise par les reptiles volants de s'y poser. Un atterrissage loin de la douceur habituelle de son Dragon qui coupe un instant le souffle de Murtagh, avant qu'il ne se reprenne, peu désireux de donner le point à Thorn concernant la douleur qui lui vrille encore les côtes. Une douleur qui lui serait passée s'il avait accepté un peu plus de l'énergie offerte par son compagnon, et qu'il compte bien faire passer par lui-même après une nuit de sommeil.
Le Dragon tourne son long cou jusqu'à ce que son œil à l'iris rouge se trouve face au Dragonnier à peine descendu de selle, le forçant à le regarder plutôt que perdre son regard dans les nœuds des sangles de sa selle.
*Je sais que tu es plus entêté qu'un bébé dragon, mais nous ne sommes plus sur les plaines du Nord depuis longtemps. Velthurr est un problème qu'on ne peut résoudre seuls, toi et moi.*
Un bâillement involontaire lui parvient pour réponse, et Thorn éloigne ses naseaux et son souffle brûlant du visage de son Dragonnier, le laissant reprendre la tâche de lui retirer sa selle.

*Réfléchis à mes paroles, petit homme.*
*Bon retour, Shur'tugal. Raudhrskular.*
La révérence se sent presque dans la voix de Lupusänghren, l'elfe à fourrure de loup, alors qu'il se fait entendre dans leurs esprits. Quelque chose qui sait flatter l'égo de Thorn - surtout depuis que l'elfe-loup a trouvé ce nom, Rouge-écaille en langue commune, pour le nommer - autant que cela horripile Murtagh. Si les elfes considèrent les Dragonniers avec honneur - et lui-même semble avoir démontré au fil du temps qu'il en était digne à leur yeux -, lui considère que le seul honneur est d'avoir à ses cotés un compagnon d'aussi grande valeur que Thorn. Les honneurs? Il les laisse volontiers à Eragon, Arya, et aux Dragonniers que son frère a formés.  
*Lupusänghren.*
L'elfe se présentant sur l'aire, à leurs cotés, l'homme décide de continuer à voix haute.
"Si c'est Eragon qui t'envoie, dis-lui que je le verrai demain."
Murtagh détache la dernière sangle de sa selle avant de la faire glisser le long du flanc de Thorn et la poser au sol à coté de lui. Au vu du poids de la pièce de cuir, il ne l'emmènerait de toute façon pas bien loin, le Dragon n'ayant eu de cesse de grandir au fil des années, Saphira elle-même ne pouvant rattraper son développement. Ayant côtoyé Shruikan de trop près à son gré, Murtagh est bien placé pour savoir qu'il n'a pourtant pas fini de se développer, et deviner que les anciennes selles devenues trop étroites pour son Dragon serviront un jour à d'autres.
"Eragon-Elda et Saphira Bjartskular sont partis vers l'ouest. Arya-Dröttning nous a informé de la naissance d'un nouveau Dragonnier parmi les Elfes."
Une légère pointe de fierté dans sa voix qui récolte un léger soupir découragé de la part de son interlocuteur. Les elfes, c'est bien à petite dose. Lui trouve que les deux Dragonniers Urgals ne sont pas de trop au sein du club de ceux dont on se méfie à demi-mot.
"Suis-je le seul à penser qu'il y a trop de Dragonniers trop peu entrainés en trop peu de temps? A l'instar de tous ici, je souhaite voir l'Ordre au sommet de sa grandeur mais..."
*Mais si l'on pouvait éviter de passer à coté d'un nouveau Galbatorix par manque de temps à consacrer à chacun...* Une pensée qu'il ne partage qu'avec Thorn, sachant d'avance la réponse que l'elfe y donnerait. Un débat qu'il a suffisamment souvent avec son frère pour ne pas l'avoir avec d'autres. Non, il ne se sent pas prêt à participer à l'éducation de la nouvelle génération.
Voyant qu'il s'aventurerait sur un terrain dangereux en répondant à la question posée par l'ancien exilé, l'elfe tente d'aborder un nouveau sujet, tâtant le terrain avec prudence.
"Les Eldunaris ont perçu l'inquiétude de Thorn.."
"Rien qui ne te concerne."
Un grondement s'échappe de la gorge de Thorn, mais Lupusänghren n'appartient pas au cercle réduit de ceux avec qui le Dragon communique sans passer par Murtagh. Un cercle réduit qui ne comprend aujourd'hui plus que Eragon, Arya et quelques Dragonniers, dont les deux Urgals précédemment cités, le Temps en ayant entrainé d'autres membres vers la tombe.
Devant la mauvaise humeur de son Dragon, l'homme se reprend, arrondissant les angles de ses paroles.
"Rien qui ne peut attendre le retour de mon frère, en tout cas. Remercie Glaedr et les autres de leur sollicitude."
L'air distrait de son Dragon lui apprend cependant qu'il doit déjà être en pleine discussion avec les esprits des Dragons de jadis, rassurant les uns et expliquant aux autres que son Dragonnier est une tête de mule finie. Un Dragonnier qui, pour sa part, ne s'adresse jamais directement aux Eldunaris, au moins pas aux plus sages d'entre eux, et surtout pas à Glaedr, le Dragon ayant perdu son Dragonnier et son corps par sa faute. Murtagh pose une main sur l'aile de son compagnon, attirant juste assez son attention pour lui signifier son départ, avant de prendre congé de Lupusänghren et attaquer la descente de l'escalier de la tour. D'ordinaire, il laisserait Thorn le déposer en bas, mais la descente lui laissera tout le temps de mettre ses pensées en ordre.

Le Dragonnier prit le temps de descendre l'escalier sans se presser, hésitant alors qu'il passait devant l'accès au sol. Décidant finalement que son temps était mieux occupé avec les Dragons qu'avec les hommes, il continua la descente jusqu'à rejoindre une salle isolée du reste du complexe par plusieurs mètres d'épaisseur de roche. Une salle baignée de la douce lueur émise par les dizaines d'Eldunaris qui y demeurent encore aujourd'hui, isolés du reste du monde afin de le protéger de leur folie. Une folie dont Murtagh a appris à s'immuniser au fil des décennies et du temps passé à essayer de soigner ces esprits brisés par la destruction violente du lien avec leur Dragonnier suivie par des siècles de domination de Galbatorix.
A peine la dernière protection de la pièce franchie, son esprit est assailli par un torrent de pensées décousues et de conversations sans queue ni tête. Une folie qui rend la sienne plus raisonnable, pense-t-il avec sarcasme. Il laisse les Dragons palabrer quelques minutes, le temps que certains se rendent compte de sa présence, et qu'il recherche les voix les plus lucides du groupe. L'homme a bon espoir de réussir à les guérir de leur mal, tous, quels qu'ils soient, mais se doute bien que ça prendra encore des années, voire des décennies, des siècles peut-être. Et vu que rares sont ceux à supporter de descendre en ces lieux, les volontaires ne se pressent pas pour le seconder à cette tâche.
L'attente dure quelques minutes, jusqu'à ce qu'une voix plus distincte que les autres survole la tempête de l'écho de nombreuses autres. Le Dragonnier isole donc cette voix des autres, les rejetant aux frontières de son esprit, tout en se tournant vers un énorme Eldunari rose pâle, le propriétaire de la voix en question.
"Kvetha, Skulblaka. Eka eddyr ai Shur'tugal*."
"Je sais qui tu es, Dragonnier. Nombreuses furent les fois où tu es venu confronter ton esprit aux nôtres."
Murtagh s'inclina face à l'Eldunari, sachant que même si le Dragon n'était pas physiquement capable de le voir, son esprit apprécierait ce geste de déférence de l'humain.
"J'ai juré de veiller sur les Dragons, qu'ils soient encore en possession de leur corps physique ou non."

Une conversation qui devait continuer plusieurs dizaines de minutes encore, entre volonté du Dragon de rejoindre ceux de ses frères qui reposaient dans les étages supérieurs et demande du Dragonnier d'un peu de patience de sa part, l'homme préférant s'assurer de la lucidité totale et complète du Dragon avant de lui imposer ce changement de décor.
Ce qui mit un terme à leur rencontre? Un nouvel esprit, humain cette fois, à la lisière du sien. Prenant congé du Dragon avec les formules de politesse qu'il convenait d'employer, Murtagh se retourna vers la sortie de la grotte, pour remarquer une présence à la limite du champ d'action du dernier rempart entre l'extérieur et la folie des Eldunaris.
"Tu ne devrais pas t'approcher aussi près, Essie."
"Et tu ne devrais pas quitter la cité sans ton épée. On continue ou tu sors de là avant qu'ils ne me rendent folle?"
Après un dernier regard vers les Eldunaris, Murtagh ressort de la grotte, passant à coté de la jeune femme avant de s'engager dans l'escalier, sachant qu'elle le suivrait. Elle le suivait toujours, et ce depuis le jour où son maudit Dragon gris comme la pierre avait éclot pour elle. Nardaught. Autant sa Dragonnière faisait montre de bien trop d'intérêt à son égard, autant du coté de son Dragon, il s'agissait plutôt de la plus grande indifférence dont un Dragon est capable.
"Tu es la mieux placée pour savoir que tout peux me servir d'arme. Même une simple fourchette."
Une allusion peu subtile à l'ustensile qu'il avait enchanté pour elle un siècle plus tôt, à une époque où il doutait que se réaliserait le rêve de voir les Dragons voler de nouveau dans le ciel.
"Une épée de Dragonnier est faite pour ceindre la taille d'un Dragonnier, pas pour l'attendre dans ses appartements."
"Si tu comptes vraiment me faire la morale, on peux en rester là. Entre Thorn, Lupusanghren et toi, j'ai mon compte pour aujourd'hui."
"Moi qui te croyais raisonnable. Ismira est dans la cité, si tu veux qu..."
"Oublie. Si je te dis que j'en discuterai avec Eragon à la seconde où Saphira posera une griffe sur cette terre, accepteras-tu que je t'offre une chope et on en reste là?"
"Vendu."
Éviter de rajouter sa petite-cousine à la liste des moralisateurs du jour? Murtagh pouvait bien négocier une chope d'hydromel du royaume des nains pour se l'éviter. Ismira était bien la seule Dragonnière dont il s'était occupée, par égard à leurs liens familiaux et au respect qu'il avait pour son père, son cousin, mais elle avait la mauvaise idée de s'entendre avec Essie quand il s'agissait de le tourmenter.